Je vous pose toutes ces questions inutiles en sachant que vous n’y répondrez pas. Je vous surnomme, à part moi, « Douleur muette ». J’ai su, au premier regard, ce que vous cherchiez : une douleur qui parle. Vous ne demandez qu’à emplir votre silence de paroles balafrées, de confidences suintantes, et cependant, vous n’appartenez pas à la race des guérisseurs, vous êtes une arnaqueuse des âmes. Vous volez et vous faites croire qu’on vous vole. Vous menez le jeu et vous vous imaginez la victime d’une manipulation. Vous voulez communier dans l’horreur, mais vous ne soupçonnez pas votre capacité de résistance au désastre : c’est en parlant qu’on se laisse entraîner vers l’irrémédiable, c’est en parlant qu’on se fracasse contre son propre vide, vous, « Douleur muette », vous ne serez jamais brisée en morceaux, le silence porte votre corps tout au long de la chute et, après avoir goûté au vertige des sentiments, c’est sur un lit de sagesse que vous reposez.
Je suis venu vous offrir d’espionner mon théâtre ; vous ne manifestez aucun étonnement. Vous ne me demandez même pas par quel hasard vous avez été désignée pour assister à mes noces avec le suicidé. Soir après soir, je vous appelle à des heures de plus en plus tardives, je sonne chez vous comme un vampire en rut, mais c’est mon sang que je déverse et je ne sais pas pourquoi vous vous obstinez à recueillir mes saignées quotidiennes.
Pour l’instant, vous m’êtes nécessaire, j’ai besoin de mettre de l’ordre dans mon bazar d’angoisses. Je me suis engagé à fournir une cargaison de délires. Je vous ai promis un spectacle, vous l’aurez."
Linda Lê, Les Evangiles du crime