C’était encore la même chose. Cette sphère de plomb sur mon diaphragme, et les larmes que je ne pleurais pas dissipaient sur les rails un bruit de fer mouillé. Les trains ne roulent pas, tu sais. Ils glissent. Dans un murmure de futur. Ça se conjugue toujours au futur compliqué, le mouvement du fer sur le fer. Même quand ça ramène les lambeaux de tes tripes vers un passé inexorable. Même quand t’es pas assis dans le sens de la marche. Les roues des trains sont des fleurets.
Au fond, pas plus que moi tu ne t’es offert, tu as juste un peu mieux fait semblant. Et puis ce cri de « Qu’est-ce que tu ressens ? » auquel je n’ai pas su répondre. Alors qu'une herse invisible me labourait les entrailles. T’as même pas vu que j’avais juste mal, que j’étais terrorisée comme une gamine par ces mots que tu voulais que je crache. Tu m’as fracassé le front contre un miroir et j’arrive pas à retirer les morceaux de verre. T’as fait ça distraitement, de la main gauche, en regardant ailleurs. Parce que tu n’as pas vu mon sang, tu t'es donné le droit de croire que je ne saignais pas. Et cette putain d’hémorragie interne que t’as provoquée sans même t’en rendre compte, je suis juste en train de m’étouffer dedans.
Les paysages sifflaient derrière les vitres comme les idées derrière mes yeux. Sans que je ne puisse rien saisir. Des fleurs électriques sous les paupières. Comme un feu d'artifices minable dans un quartier de seconde zone. Les gens autour de moi n’étaient que des odeurs, et je leur en voulais, à mort, juste parce qu’ils étaient humains.
Y’a ces images de toi qui me reviennent, comme des flashbacks incontrôlables. Je sais pas pourquoi, c’est le restaurant que je revois le plus souvent. Quand tu prenais mes mains dans les tiennes en me disant que j’étais belle, pendant que le miroir derrière toi me hurlait le contraire. Et puis, immédiatement après, le quai de la gare. Le trajet entre les deux a disparu, ou presque, je sais même plus si il faisait nuit ou pas encore. Le quai de la gare, donc. La malice dans ton sourire quand tu me faisais tourner au dessus des rails. Ouais, je revois cette image, mes ballerines qui planent au-dessus de la voie ferrée, je la revois sans cesse, comme un arc de disque rayé. J’étais la danseuse du Petit Soldat de plomb.
Elle portait un tutu blanc, et dansait sur fond de musique folk. Mais ça fatigue, de lever haut la jambe, à la longue. Alors, j'ai déposé ma danseuse sur la voie de chemin de fer, bien au milieu, et j'ai laissé le train dissoudre sa silhouette résignée et un peu fière encore. Je l'ai laissée mourir dans une pluie de flocons diaphanes, que je fus la seule à entrevoir, avant que l'été ne l'absorbe.
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